Des paysans sans-terres en augmentation, des ressources complémentaires
(exploitation de la forêt ou pêche) qui sappauvrissent,
une modernisation tendant à accroître les inégalités,
un système de crédit excessivement onéreux,
et des prix agricoles fixés, voire verrouillés, au
détriment des petits producteurs : cest lévolution
inquiétante de la micro-économie rurale décrite
par le CDRI (Institut de ressources sur le développement
du Cambodge) dans sa dernière enquête en date(1), basée
sur six études de cas dans les provinces de Battambang, Prey
Veng, Kompong Speu, Kampot, Kompong Thom et Kandal. En une cinquantaine
de pages, qui décrivent par le menu les moyens de subsistance
des communautés étudiées, du coût moyen
dun filet de pêche importé de Thaïlande
ou du Viêt-nam aux ventes de terres en passant par lévolution
locale du prix du kilo de riz, les auteurs montrent comment la libéralisation
du marché, la concurrence de produits étrangers non
taxés (parce quimportés en contrebande) et même
lintroduction de nouvelles techniques, conjuguées à
un accroissement démographique important, de lordre
de 2 à 2,5% par an dans ces villages, ont poussé dans
une précarité accrue, y compris alimentaire, un nombre
croissant de foyers.
La généralisation de lusage des pesticides
et des fertilisants, par exemple, pousse les paysans à sendetter
davantage quautrefois pour mettre leurs terres en culture.
Dans le pire des cas, elle entraîne aussi un appauvrissement
des sols en raison dun usage sans discernement des produits
chimiques. Les moyens mécaniques (transports, moto-pompe
ou tracteurs), sont souvent concentrés entre les mains des
quelques villageois disposant dun capital de départ.
Ainsi, alors que chaque année des familles perdent leurs
terres, faute de réussir à rembourser des emprunts
à des taux extrêmement élevés, même
en matière de micro-crédit, une minorité agrandit
son domaine et senrichit encore en prêtant largent
ou louant le matériel. Cest parfois la même qui,
grâce à ses relations, achètera les récoltes
au plus bas juste après la moisson et revendra ensuite le
riz au prix fort. Cette situation a remplacé le relatif égalitarisme
qui avait prévalu lors de la privatisation des terres, à
la fin des années 80. Et dans la mesure où la plupart
des foyers paysans assuraient alors tout juste leur subsistance,
la précarisation dépeinte par le CDRI peut laisser
craindre, dans le cas dun statu quo, la généralisation
de la misère et des migrations, vers la ville ou la Thaïlande.
Pourtant, estiment les auteurs, notamment en dressant des comparaisons
avec les pays voisins, cette évolution ne relève pas
dune fatalité. Car bien que de nombreux Projets de
développement rural aient été mis en place
à la fois par le gouvernement, les grandes organisations
internationales et les ONG au cours des dix dernières années,
la plupart ont relevé, et relèvent toujours, selon
le CDRI, de solutions de type micro-gestionnaire. Or
les problèmes du monde rural (donc de limmense majorité
de la population) demanderaient des réponses systémiques
au Cambodge : sur le problème de la terre, la garantie de
prix agricoles minimaux, la modernisation et la diversification
du secteur. Bien sûr, quand létude conclut par
exemple à la nécessité de généraliser
lirrigation, on ne peut sempêcher de penser que
le coût en est pour linstant jugé hors datteinte
par le gouvernement. De même que lon peut se demander
combien de temps prendrait la refonte totale du système
de crédit ou la sécurisation de la propriété
sur la terre que les auteurs appellent de leurs vux,
quand bien même elles seraient décidées sur
le papier.
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