Economie
Le secteur agricole, oublié de la croissance
Dans sa dernière étude sur l’évolution de la pauvreté au Cambodge, la Banque mondiale (BM) salue les “nombreux progrès” réalisés par le royaume au cours de la décennie passée, et pointe les priorités sur lesquelles devraient se concentrer les politiques des années à venir. Grâce au retour de la paix et à une croissance moyenne de 7% par an, la BM estime que le niveau de vie de la population s’est considérablement amélioré en dix ans, y compris pour les plus pauvres, le pourcentage de la population vivant sous le seuil national de pauvreté étant passé de 47% en 1994 à 35%. Mais derrière ce tableau très flatteur, le rapport s’inquiète de la faiblesse structurelle du secteur agricole, qu’il considère comme une priorité absolue si le Cambodge veut atteindre ses objectifs de réduction de la pauvreté.
En préambule, la Banque mondiale estime que le retour de la paix et l’ouverture du marché à l’économie mondiale ont entraîné une progression spectaculaire du niveau de vie de la population. La consommation des foyers aurait ainsi augmenté de 32% en dix ans, passant de 2 200 à 2 900 riels par habitant et par jour. D’au-tres indicateurs témoigneraient des mêmes progrès, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation : la prévalence du HIV chez les plus de 15 ans est ainsi passée de 3% en 1997 à 1,9% en 2003, et le taux de scolarisation en primaire des enfants les plus pauvres aurait augmenté de 10% sur la même période.
Mais si la réduction de la pauvreté a touché, selon la BM, toutes les couches de la population, les 20% les plus pauvres sont ceux qui en ont, et de loin, le moins profité. Quand la pauvreté chutait de moitié à Phnom Penh en dix ans (un peu moins dans les autres villes), elle ne reculait que de 22% dans les campagnes, si bien qu’en 2004, 91% des pauvres du royaume vivaient en zone rurale. La Banque mondiale s’étonne même de l’accroissement précoce des inégalités au sein de la population, et rappelle que dans la plupart des pays de la région, les écarts de richesse n’ont réellement commencé à se creuser qu’à un stade de développement plus avancé que celui du Cambodge. Le rapport estime donc que les moteurs qui ont tiré la croissance ces dernières années (la confection, le tourisme et la construction) doivent désormais être complétés par une source de croissance plus rurale et davantage orientée vers les pauvres.
Afin d’améliorer la productivité de l’économie rurale, la BM préconise d’encourager les petites exploitations, de renforcer l’accès de tous aux ressources communes comme l’eau, de développer les infrastructures favorisant la productivité, d’améliorer les services de santé et l’accès à l’éducation et, surtout, de sécuriser l’accès à la propriété privée, notamment pour les petits propriétaires. La proportion de foyers qui manquent de terres cultivables serait en effet passée de 13% en 1997 à 16% en 1999, et 20% en 2004. Un problème qui découle en grande partie de la gestion pour le moins floue de l’accès à la propriété : 80% des foyers ruraux possédant une terre ne disposent pas de titre de propriété, ce qui handicape considérablement le développement des zones rurales. En l’absence de titre de propriété fiable, un propriétaire sera de façon bien compréhensible très réticent à investir sur sa terre sur le long terme, ou même à louer son terrain de peur que son locataire ne finisse par se l’approprier. En résulte un double phénomène aussi paradoxal qu’inquiétant : alors que le nombre de sans-terre augmente, de nombreux terrains restent en jachère.
Pour toutes ces raisons, le secteur agricole du Cambodge, qui emploie près de 70% de la main d’œuvre (21% pour les services, 8% pour l’industrie), est sans conteste le moins dynamique de la région. L’agriculture cambodgienne a enregistré un taux de croissance de 3,3% chaque année depuis dix ans (avec trois années de taux de croissance négatif), loin des 5% de la Malaisie et de la Thaïlande ou encore des 4,6% du Laos. Le rendement du riz à l’hectare est même de moitié inférieur à celui du Viêt-nam et bien en dessous de celui des pays voisins. Ce constat rejoint le problème crucial de l’irrigation pour lequel le Cambodge détient un record absolu en Asie du Sud-Est avec seulement 7% de terres irriguées, contre 19% pour le Laos, pourtant avant-dernier de ce classement régional.
En conclusion, la Banque mondiale estime qu’avec un taux de croissance constant de 7% soutenu par les mêmes secteurs (confection, tourisme et construction), la pauvreté ne diminuera que très modérément dans les années à venir. Il suffirait par contre que l’agriculture se développe au rythme de 4% par an pour que le Cambodge atteigne ses objectifs de réduction de la pauvreté. Le développement de l’économie rurale apparaît d’autant plus crucial que ni la confection ni le tourisme ne seront en mesure d’absorber les 200 000 jeunes qui s’apprêtent à entrer chaque année dans la vie
active d’ici à 2011. Soren Seelow