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Les dossiers classés du mandat du président américain
Richard Nixon ouverts depuis le 16 novembre au public
“Officiellement nous disons une chose, en fait nous en faisons une autre”. Voilà dans quels termes le président Nixon expliquait à ses assistants en 1970 la guerre secrète menée au Cambodge dans l’optique de contrer les troupes nord-viêtnamiennes. Ces choix, ces orientations et ces réflexions politiques, énoncés sans détours, sans pincettes, s’affichent en parfait contrepoint du discours officiel. Depuis mercredi 16 novembre, ils sont accessibles au public dans les archives nationales américaines.
Même si le cynisme des hauts fonctionnaires ne surprendra personne aujourd’hui, ces documents devraient constituer une matière intéressante pour éclairer ce volet de l’histoire où un président américain ment au Congrès, dirige une guerre “secrète” au Cambodge, fait bombarder la piste Ho Chi Minh, encourage les troupes à poursuivre leur combat tout en leur demandant de tenir un discours de façade selon lequel le soutien au Sud Viêt-nam reste ponctuel, seulement en cas de nécessité. L’épisode rappelle le déclenchement de la guerre en Irak sur fond de preuves douteuses concernant les armes de destruction massive utilisées par le pays.
A l’époque, l’objectif du président Nixon est sa réélection. Il ne fallait donc pas que le gouvernement sud-viêtnamien s’écroule avant 1972. Reste qu’au Cambodge, bien du monde s’accorde à penser que sans l’intervention américaine, dévastatrice, les Khmers rouges n’auraient pas autant recruté. Le roi-père, lui, livre encore une autre interprétation : “‘L’ennemi’, c’était en vérité Norodom Sihanouk et le Sangkum Reastr Niyum mais en utilisant les Lonnoliens et les Sirikmatakiens pour ‘éliminer’ le Sangkum Reastr Niyum, les Nixon-Kissinger ont, en fin de compte, servi les intérêts supérieurs des Khmers rouges, de Pol Pot et du communisme polpoto...”
Les 50 000 pages de dossiers ouvertes au public proviennent de la sécurité nationale américaine, du bureau d’Henry A. Kissinger (alors chef du département d’Etat) et de la Maison blanche, entre 1969 et 1973. Elles comprennent des documents militaires sur le déploiement des forces, le budget, la structure de commandement..., des documents diplomatiques avec notamment la correspondance entre Washington et l’ambassade américaine à Saïgon, des documents des agences fédérales, des dossiers du Congrès, des écrits, des rapports, des courriers du personnel administratif. Tous les documents jugés, par les archivistes, privés ou non liés aux devoirs du président (décédé en 1994) sont retournés à sa famille. “Selon les propos des chercheurs qui ont commencé à examiner ce large volume de documents, il apparaît jusqu’ici que rien n’altère vraiment notre compréhension de la politique étrangère menée par le président Nixon. Ces nouveaux documents ne font qu’ajouter un peu de saveur à ce que nous savons déjà des relations internationales pendant cette période”, commente le chercheur américain Craig Etcheson.
Pour la petite histoire, ces archives ont fait l’objet d’une vraie lutte pour les récupérer, dès 1974. Après sa démission le 9 août 1974 suite à l’affaire du Watergate (l’espionnage politique de ses adversaires démocrates), Richard Nixon signait un accord avec le chef de l’administration des services généraux lui donnant le contrôle sur toute la documentation de son mandat, y compris les enregistrements de la Maison blanche. Pour éviter que les documents relatifs au Watergate disparaissent, le Congrès s’engage dans une bataille des archives et contre Richard Nixon en votant une loi de conservation des documents et enregistrements présidentiels et leur dépôt aux archives nationales. Pendant de longues années, les recours de l’ex-président échouent. En avril 1995, Bill Clinton signe l’Executive Order 12 958 qui donne mandat pour passer en revue les documents classés depuis plus de 25 ans, ce qui les rend aujourd’hui accessibles au public.
Anne-Laure Porée