Agriculture
“Le riz n’est pas une plante aquatique” et autres préceptes révolutionnaires
Il est déjà appliqué dans des rizières de Madagascar et ne demande qu’à se répandre. S’il est adopté par les paysans cambodgiens, le système de riziculture intensifié (SRI) remettra en cause des pratiques millénaires. Il part en effet du principe que le riz n’est pas une plante aquatique et que plus de plants au mètre carré ne donnent pas plus de rendement. La méthode SRI a été développée à Madagascar entre 1961 et 1995 par un Français, Henri de Laulanié, en collaboration avec des paysans malgaches. Après expérimentations, les rendements ont bondi de 2 tonnes à l’hectare (soit la moyenne actuelle au Cambodge) à 6, 8 ou 10 T/ha, voire plus selon les terres et les conditions climatiques, et ce avec moins de semences.
Comment obtenir de tels résultats? Quelques indications. Les semis doivent être retirés tôt de la pépinière (au bout de 15 jours seulement), et repiqués dans l’heure qui suit car s’ils sèchent, ils s’affaiblissent. Les plants sont mis en terre un par un et non par bouquets de trois ou quatre (méthode habituelle). Ainsi, les racines ne se concurrencent pas et la plante est plus vigoureuse. Il faut répartir les plants en carrés et les espacer d’au moins 25 cm, cela permet de mieux les exposer à l’air et au soleil. On passe alors de 50 ou 100 plants au m2 à une dizaine seulement, économie non négligeable. Les plants doivent être insérés délicatement en oblique dans le sol, le bout des racines vers le bas et non l’inverse : ainsi la plante fournit moins d’efforts pour plonger dans les profondeurs terrestres.
L’autre révolution consiste à ne plus considérer le riz comme une plante aquatique. “Le riz qui pousse en permanence dans l’eau s’adaptera à cet environnement. Ses racines développeront des petites poches permettant à l’oxygène capturé par les feuilles d’atteindre les racines ; mais il ne poussera pas aussi bien que s’il reçoit directement l’oxygène de l’air”, explique un document de travail rédigé par les associations malgaches Tefy Saina et Ciifad. D’où la nécessité de planter dans un sol qui n’est pas perpétuellement inondé. Lors de sa croissance, le riz demande un sol humide mais non saturé d’eau, et on peut même l’assécher occasionnellement, avec des systèmes de drainage différents. “S’il y a beaucoup d’eau autour des plants, ils deviennent “paresseux” et leurs racines cessent de croître”, ajoutent les auteurs.
Mais sans inondation permanente, les mauvaises herbes prolifèrent. Il faut les éliminer avant qu’elles n’émergent : les inventeurs du SRI ont donc mis au point une sarcleuse mécanique peu onéreuse (20$). Sarcler prend du temps, mais cela aère le sol et en laissant les mauvaises herbes s’y décomposer, on fabrique du compost et le rendement augmente encore d’une ou deux tonnes par hectare. L’engrais naturel, moins cher et plus lent à se libérer, offre de meilleurs résultats que son homologue chimique : “Le sol enrichi de compost et de fumier aura une meilleure structure et les racines s’y développeront facilement”.
Le SRI permet d’augmenter la taille et le nombre de grains par talle, ainsi que le nombre de talles fertiles par plant. Tout cela demande plus de soin, donc plus de main d’œuvre et plus de temps la première année; mais ces investissements sont rapidement compensés par des rendements supérieurs, et les terres libérées peuvent être consacrées à d’autres cultures.
François Renaut
Plus d’informations auprès du Cedac (023 880 916) ou du secrétariat du SRI (www.foodsecurity.gov.kh/sri)
Travaux pratiques à Takéo
Vendredi dernier à Tram Kâk, province de Takéo, le ministre de l’Agriculture s’est fait professeur d’agronomie pour trois cents fonctionnaires venus de quatorze provinces et municipalités. Rétro-projecteur à l’appui, Chan Sarun a exposé les avantages du SRI. Moins d’eau, moins de semences et plus de rendement : la corne d’abondance à la portée de tous. “Avec 10 kilos de semences, on obtient le même rendement en SRI qu’avec 60 ou 70 kgs cultivés de façon traditionnelle”, assure le ministre.
Le long de la route qui sillonne le district pilote de Tram Kâk, le riz SRI a déjà été repiqué et le village de Ta Suorn est couvert de parcelles verdoyantes. Un paysan prend la tête de la délégation et mène la visite. “Aujourd’hui, les paysans de mon village sont satisfaits : le rendement est bon, cinq tonnes à l’hectare, et cela donne du travail à tout le monde”, explique Prak Chrès qui ajoute qu’il n’a désormais “plus le temps de faire la sieste”. Les terres qu’il a libérées sont désormais couvertes de légumes et d’arbres fruitiers. “Je pense que je vais transmettre ces connaissances aux paysans de ma région”, affirme Sok Lay, chef du département d’agriculture du district voisin de Kirivong, qui juge la visite “très intéressante”. Tès Sophorn, responsable de l’agriculture de Prey Veng, ne dit pas autre chose même s’il a déjà vu ce système dans sa région, “mais il n’est pas encore très répandu, et je vais faire en sorte qu’il profite à tous”. Si Tram Kâk a pris de l’avance (5 000 hectares SRI pour 17 092 familles), les autres provinces s’y sont mises aussi. Selon le ministre, plus d’une centaine de milliers d’hectares sont au régime SRI à travers le royaume.
Chan Sarun a également encouragé les paysans à utiliser des engrais naturels. Selon lui, les paysans cambodgiens dépensent la bagatelle de 60 millions de dollars par an pour protéger leurs cultures : 20 millions en insecticides et 40 millions en engrais chimiques. “La fabrication d’engrais naturels n’est pas difficile, parce que les paysans ont la matière première sous la main”, a-t-il expliqué.
Ros Dina
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