L’Onu victime de détournements massifs
de son aide alimentaire
Le Programme alimentaire mondial (Pam), agence des Nations unies,
a découvert l’existence d’un important trafic
de riz à ses dépens, pour un préjudice estimé
à près de deux millions de dollars. Dès les
premiers soupçons de détournement, en mars 2004, le
Pam a suspendu le lancement de nouveaux projets d’aide, selon
Heather Hill, porte-parole de l’agence. Le trafic aurait bénéficié
de complicités à tous les échelons, du stockage
jusqu’à la distribution en passant par le transport.
Des autorités locales, régionales, des fonctionnaires
de plusieurs ministères et des employés du Pam seraient
impliqués. On ignore pour l’instant jusqu’où
remontent les collusions au sein de l’Etat. Toujours est-il
que face à l’ampleur des détournements, le Premier
ministre Hun Sen s’est engagé à rembourser intégralement
le Pam, selon le Phnom Penh Post (édition du 27/08/04). Les
sommes remboursables sont actuellement en cours d’évaluation.
Les détournements auraient eu lieu de façon systématique
au moins entre janvier 2003 et avril 2004, au détriment des
programmes “travail contre nourriture”. Toute l’année,
des milliers de tonnes de riz sont acheminées depuis les
centres de stockage du Pam vers les sites de construction et de
réhabilitation d’infrastructures, principalement des
chantiers routiers, d’irrigation et de canaux. Les repas sont
offerts aux ouvriers.
La fraude a été découverte le 28 février
dernier, suite à un contrôle suscité par une
livraison suspecte... dont le contenu n’est jamais arrivé.
Le Pam a donc fait appel à une équipe d’enquêteurs
externes, venus expressément du siège de l’organisation
à Rome. Ceux-ci ont mis au jour des dysfonctionnements généralisés
et dissimulés avec soin par les différents acteurs.
Le système de fraude consistait à surévaluer
les besoins réels en nourriture sur les chantiers, en gonflant
les listes des ouvriers bénéficiaires, et en sous-estimant
l’état des infrastructures existantes, ce qui rehaussait
de facto l’ampleur des travaux supposés, donc les besoins
en riz. Environ 4 000 tonnes de riz auraient ainsi été
détournées vers des destinations inconnues, sans doute
pour être revendues.
Sept employés du Pam, ayant reconnu leur implication, ont
été licenciés ou ont démissionné.
Dans les ministères concernés, une enquête serait
en cours. En attendant, l’agence onusienne a suspendu le lancement
des nouveaux projets “jusqu’à ce que les sommes
détournées aient été remboursées
et que nous soyons sûrs qu’à l’avenir,
le moindre grain de riz fourni bénéficiera au peuple
cambodgien”, précise Heather Hill.
Du côté du gouvernement, on esquive les questions
avec un art consommé de la passe à dix. Khieu Kahnarith,
porte-parole du gouvernement et ministre de l’Information,
ne “connaît pas bien le dossier” et recommande
d’appeler le ministère de l’Agriculture. Mais
Chan Tong Iv, secrétaire d’Etat, n’est “pas
compétent sur cette question. Ce problème concerne
le ministère du Développement rural.” Lu Lay
Sreng, qui dirige ledit ministère, passe le dossier à
l’un de ses fonctionnaires, qui renvoie sur l’un de
ses collègues, chef de projet... lequel était injoignable.
Chez les donateurs du Pam (Japon, Etats-Unis, Australie surtout),
on attend, un poil irrité, de savoir comment les autorités
cambodgiennes vont traiter cette affaire. “Notre aide future
en dépendra. Début juillet, nous avons demandé
au gouvernement de mener l’enquête pour déterminer
la valeur des pertes, punir les coupables et rembourser les sommes
détournées dans les délais les plus brefs”,
énonce Ryutaro Takaku, second secrétaire de l’ambassade
du Japon, premier pays donateur du Pam au Cambodge avec environ
11 millions de dollars en 2003. Le Japon a également exprimé
ses “profonds regrets” aux représentants du Pam
et au gouvernement.
Des “regrets” d’autant plus vifs, peut-être,
que 70% du déficit budgétaire du Cambodge, soit entre
350 et 400 millions de dollars, sont financés par la communauté
internationale... qui risque donc de payer deux fois le riz que
lui remboursera le gouvernement. FR
Loin de la relative sécurité observée dans
les grandes villes du pays et des précautions entourant la
vie des expats, ce sont les paysans qui continuent de payer le plus
lourd tribut à l’insécurité ambiante.
Meurtres, enlèvements, racket, destruction d’infrastructures,
champs de mines... les Cambodgiens des campagnes sont toujours les
premières victimes de l’enlisement d’un conflit
qui dure depuis près de 20 ans. Adoptant une véritable
politique de la terre brûlée, les Khmers rouges, qui
ne sont plus à une contradiction près puisqu’ils
rackettent la population après avoir un temps aboli l’argent,
s’attaquent à ce qui était censé constituer
leur principal appui : la paysannerie. Si les exactions de la guérilla
n’ont jamais réellement cessé, elles se multiplient
après le départ de l’Apronuc en septembre 1993,
notamment dans la province de Siem Reap où les villageois
sont tour à tour rançonnés, exécutés
réquisitionnés pour des travaux forcés. La
cité des temples, qui accueille déjà en 1994
pas moins de 178 000 visiteurs, constitue ainsi un véritable
oasis de paix, une enclave touristique, un périmètre
de sécurité dans une région en proie à
de violents tourments. Une situation qui conduira nombre d’observateurs
à juger que si l’Onu a rempli l’une de ses deux
missions - la tenue d’un scrutin démocratique en 1993
- elle aura profondément échoué à rétablir
la paix.
Un reportage du journal Le Mékong de juillet 1995 décrit
la réalité de la situation aux portes de la cité
des temples : “Du district de Chi Kreng à celui de
Sot Nukum et enfin, ces derniers temps, à Banteay Srey, Angkor
Thom et Angkor Chum, au nord du site archéologique, les Khmers
rouges incendient les maisons et posent des mines antipersonnel,
formant ainsi, petit à petit, une sorte de ‘no man’s
land’ en plein centre de la province pendant que la ville
accueille annuellement des milliers de visiteurs”.
En décembre 1994, toujours selon le Mékong, plus
de 300 villageois de la province de Siem Reap ont été
capturés afin d’être exploités pour le
transport d’armes, de munitions et la construction de routes.
“Effrayés par ces attaques, 7 000 villageois auraient
fui du nord vers la région du Tonlé Sap”, rapporte
le mensuel. Un mois auparavant, le 8 novembre, dans le district
de Kulen, à environ 30 km du site d’Angkor, 35 personnes
étaient enlevées et une trentaine de maisons brûlées.
Toujours le 8 novembre, “le même sort était réservé
à 139 habitants d’un village de la province de Kompong
Speu, à 90 km à l’ouest de Phnom Penh. Dans
ce secteur, lors de la fête du Katen, le 12 novembre, les
Khmers rouges ont occupé une pagode, tuant 17 personnes et
en blessant 33”. Enfin, rapporte, toujours dans sa même
édition, le Mékong, la guérilla a massacré,
selon le témoignage d’un survivant, 27 Thaïlandais
travaillant dans des concessions forestières en territoire
khmer rouge sur les 33 qu’elle avait enlevés le 17
novembre dans la province de Preah Vihear.
Ce n’est qu’à partir des événements
de 1997 et surtout après les élections de 1998, à
la faveur des principaux ralliements khmers rouges et d’une
certaine “clarification” du partage des responsabilités
à la tête du pays, que les conditions de sécurité
ont réellement commencé à se normaliser. C’est
à compter de cette date que le PPC assoit son emprise sur
l’ensemble du pays et restaure un début d’autorité
en éliminant la menace khmère rouge et les dissenssions
au sein de l’armée gouvernementale. Démantèlement
des milices villageoises, disparition des check-points sauvages,
opérations de ramassage des armes et lancement du processus
de démobilisation en 1999 qui aboutit à une véritable
homogénéisation des Forces armées royales du
Cambodge (Farc). Après plus de 20 ans de guerre, le Cambodge
entre à la fin des années 90 dans une phase d’insécurité
“normale”, plus urbaine, davantage motivée par
les inégalités croissantes au sein de la population
que par les idéologies et les luttes de pouvoir qui ont régi
son destin pendant toute la fin du XXe siècle.
Soren Seelow
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