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Articles de presse

Pchum Ben, Afflux sans précédent de mendiants dans les pagodes

Phchum Ben

Afflux sans précédent de mendiants dans les pagodes

Jamais Phchum Ben n’avait attiré autant de mendiants aux abords des pagodes phnompenhoises. Ils sont plusieurs dizaines, jeunes et vieux, bien portants et estropiés, à se masser aux entrées des édifices religieux en espérant apitoyer les “riches” de la capitale venus déposer des offrandes pour les âmes de leurs ancêtres. Des semaines de sécheresse et le bouche-à-oreille colporté par ceux qui sont venus les années passées ont suffi à jeter des villages entiers sur les routes.

Cheal, une quarantaine d’années et un nourrisson dans les bras, est postée depuis la semaine dernière devant le wat Svay Popè. Elle était déjà venue l’an dernier. “Je réussis à gagner 6 000 riels par jour, explique la paysanne originaire de Takéo. Au village, la terre n’a rien donné cette année : nous sommes désœuvrés.” A ses côtés, Kosal, son époux en uniforme militaire, confirme que la disette sévit dans leur village et que la plupart des habitants ont donc décidé de tenter leur chance à Phnom Penh.

Poy Sinhong, 77 ans, arrive quant à elle accompagnée de ses deux enfants depuis Svay Rieng. Là aussi, pas une goutte de pluie n’est tombée. “Normalement, mes enfants travaillent la terre mais, là, comme il n’y a pas eu de pluie, nous n’avons eu d’autre choix que de venir ici, affirme la vieille femme tout en observant le va-et-vient des fidèles du wat Langka. En une journée, je reçois entre 3 000 et 7 000 riels. Les gens ont pitié de moi parce que je suis âgée.” Thira, 37 ans et plusieurs années au service de l’armée, n’a pas cette chance. Il dit n’attirer que des regards de mépris, ou au mieux d’indifférence. “En plus, quand c’est au tour des lok thom [les puissants] de venir ici, on nous chasse comme des malpropres et ces jours-là, on ne gagne presque rien.”

Les autorités de la capitale ont elles aussi constaté une hausse du nombre d’arrivées de mendiants, même si aucun décompte précis n’a été entrepris. “La sécheresse constitue certainement une des principales raisons, avance Koy Kim Leang, directrice-adjointe du département municipal des Affaires sociales. Mais il ne faut pas minimiser le fait que l’habitude de venir à Phnom Penh pendant les fêtes s’ancre de plus en plus profondément.” Avis partagé par Ly Sou, vice-gouverneur de la capitale, qui laisse entendre qu’une partie des mendiants se sont professionnalisés. “Ce sont toujours les mêmes que l’on voit, affirme-t-il. Certains dissimulent des poches supplémentaires dans leurs habits. A la fin de leur journée, ensemble, ils font leurs comptes.” Face à cette situation, les autorités, poursuit Ly Sou, proposent à ces personnes démunies des formations professionnelles et leur donnent un coup de pouce pour démarrer une activité commerciale. “Mais sitôt rentrés chez elles, elles vendent le matériel qu’on leur a offert et saisissent la première occasion pour revenir en ville.”

Au wat Mahomontrey, pagode qui se dit plus tolérante que les autres, une centaine de nécessiteux sillonnent chaque jour les allées de l’édifice et y trouvent un lieu pour dormir la nuit. “Ils sont tous munis de sacs en plastique dans lesquels ils récupèrent les restes de nos repas”, raconte Hung Sokhom, un jeune bonze. Verser son obole à des indigents ou leur remettre de la nourriture est considéré dans la religion comme un moyen d’offrir une vie heureuse à des nouveau-nés. Leur présence, même si de fait ils sont associés à des prajjas (damnés), est donc tolérée. “Mais ils sont souvent à l’origine de problèmes, déplore le bonze Hung Sokhom, car la mendicité devient une véritable industrie. Certains s’agrippent aux vêtements des gens, d’autres dérobent l’argent destiné aux achars.”

S’échiner sur une terre capricieuse quand il suffit de tendre la main pour gagner de quoi manger chaque jour, voire mettre un peu d’argent de côté, pour beaucoup, le choix est simple. Surtout pour ceux dont le ventre crie famine. A 10 ans, Baraing fait déjà partie de ceux-là. Venu d’Oudong avec sa grand-mère, il dit gagner quotidiennement 4 000 riels pendant toute la période de Phchum Ben. “Ça ne sert à rien d’aller à l’école, soutient-il. Pendant les fêtes, quand je mendie avec ma grand-mère, je peux gagner de l’argent et manger beaucoup!”

A la faveur du fossé toujours plus profond entre les villes et les campagnes, les milliers de riels économisés pendant ces quinze jours, maigre pécule aux yeux des citadins, fait rêver les villageois, toujours plus nombreux à vouloir recueillir quelques miettes des richesses qui s’affichent dans les rues de la capitale. Sous le porche de la pagode de Stœung Meanchey, Sam Sen, 41 ans, tend un chapeau aux colonnes de fidèles. C’est la première fois qu’il quitte son village dans la province de Prey Veng. “Avant, jamais je n’aurais pensé faire ce que je fais là, affirme-t-il. Mais au fil des années, nous avons vu revenir des familles qui s’étaient enrichies sans le moindre effort. Alors pourquoi pas moi?”

Ung Chamrœun


Rafle de sans-abri

La pauvreté envoyée derrière les barreaux

La colère sourd encore dans la voix de Sopheap*, qui maintient son regard fixé au loin sur un point imaginaire. Cette grand-mère de 57 ans a été ramassée - au même titre que tous ceux et celles qui, le 3 novembre au soir, dormaient ou vagabondaient dans les rues de Phnom Penh - par les services sociaux de la municipalité. “Il était vers les 2h du matin quand des hommes sont venus couper les fils qui tendaient ma moustiquaire sur le bout de trottoir que je squatte depuis 3-4 mois. Ils m’ont botté les fesses et nous ont ordonné, à moi, ma fille et mes deux petites-filles, de grimper dans une camionnette. Les plus récalcitrants étaient poussés à coups de matraque.” Pho*, 23 ans, se remettait sur la pelouse du bord du fleuve d’une méchante cuite prise avec des amis quand il s’est fait tirer par le col. “Je ne suis pas un enfant des rues : j’ai une maison et vis avec ma famille”, raconte, encore éberlué, le jeune homme à la mise impeccable.

Ils seraient, à en croire les témoignages de ceux qui ont réussi à s’échapper du centre dans lequel on les a parqués, plus d’une centaine à être tombés dans les filets des services sociaux. Dans les camionnettes, les non habitués des rafles municipales sont vite mis au parfum par des habitués, faute d’explications de la part des fonctionnaires : ils seront abandonnés en lointaine campagne ou seront gardés quelques jours, voire plus. Après une petite heure de voyage, les camionnettes arrivent à destination : le Centre des affaires sociales de Phnom Penh, non loin de la RN3, peu après le wat Prey Speu, construit au milieu de rizières et ceint d’un mur de briques haut de près de deux mètres. Son accès est interdit au simple visiteur non muni d’autorisation, assure à l’entrée un adolescent, torse nu et chaîne au cou, l’air patibulaire qui fait office de gardien. “Non, nous n’avons pas de jeunes ici, on les envoie à Chom Chao [centre de réinsertion des jeunes].” En insistant un peu, il reconnaît que des jeunes ont été emmenés ici mais seulement des “drogués”, des “mal habillés”. Seule une dizaine de visages sont visibles derrière lui dans la cour, des visages sans expression.

“Là-bas, ils nous ont entassés dans des salles. Pour les repas, nous avions la portion congrue, une minuscule poignée de riz et de navets fermentés (chhay pov) - le repas des pauvres - et, une fois par jour on avait le droit de sortir pour la toilette par groupes de 4-5. Les femmes n’osent pas faire leurs besoins car les gardiens se postent devant elles. Il y a de tout dans ce centre : des bébés, des enfants, des adultes, même une très vieille femme qui répétait s’être fait violer et ne pouvait plus s’asseoir tant la douleur était intense”, détaille Pho, précisant qu’à aucun moment on ne leur a posé de questions ou demandé des papiers d’identité. Dès le premier jour, il casse un carreau pour s’échapper mais se fait prendre. Il est immédiatement corrigé et attaché à un palmier une journée durant sous un soleil mordant. “On agit comme cela avec les criminels, mais nous autres n’avons rien à nous reprocher!”, proteste vainement Pho, encore incrédule.

Ceux qui font office de gardiens dans le centre ne sont autres que des voyous, assure Sopheap. “Apparemment, ce sont des vauriens attrapés par les autorités à qui l’on a proposé ce travail. Ils sont jeunes et très violents. Ils éprouvent du plaisir à faire souffrir les autres”, maugrée la vieille femme. Finalement, Pho profitera d’un moment d’agitation après qu’un “détenu” se soit évanoui pour se faire la belle, quatre jours après son arrestation. Sopheap, deux jours plus tard, réussit à son tour à s’échapper après avoir déboursé 50 000 riels au gardien pour qu’il la laisse partir chercher des médicaments pour sa petite-fille malade.

Ceux qui, dans le centre, ont pu se regrouper en familles, naturelles ou artificielles, afin de bénéficier d’un traitement de faveur, sont photographiés. “On nous a expliqué que seules les familles pourraient être aidées par une organisation”, rapporte Pho, qui a joué le jeu, en se faisant passer pour le fils d’une autre. “En rejoignant la catégorie ‘familles’, ils te laissent plus de libertés et la nourriture est un peu meilleure. Les autres sont maintenus dans une salle fermée à clé. Je crois qu’ils ne comptaient pas nous relâcher avant janvier.”

Dans le village à proximité se promenait hier à l’heure du déjeuner, un responsable du centre, déjà passablement éméché. “Bien sûr qu’il y a assez de nourriture au centre, et on leur propose même des formations comme la couture”, assure-t-il. Une villageoise conteste promptement ses dires : “On a entendu dire ça mais, concrètement, vous n’avez jamais rien mis en place!” Deux hommes l’interrompent aussitôt, assurant que le projet a été mis en route et que “tout va bien”. Et si la sécurité est importante, argue le responsable, “c’est qu’elle a dû être renforcée après que plusieurs personnes eurent par le passé tenté de s’enfuir. Ce n’est pas évident de les contrôler tous car on a de tout dans ce centre, même des fous!”

A la municipalité, Chea Sorn, le chef du bureau des affaires sociales fait la sourde oreille, prétextant que ce vendredi se tient une conférence de presse sur le sujet. Pin Sokhom, de l’ONG Friends, qui travaille aux côtés des enfants de la rue, s’offusque de l’affaire. “Des familles ont été séparées, des personnes qui ont un toit ont été embarquées. Notre organisation est prête à collaborer avec les autorités mais pas en employant de telles méthodes.” Aujourd’hui, ils sont moins nombreux à s’exposer la nuit dans les rues de Phnom Penh. A la seule exception de ceux qui ont repéré quelles soirées de la semaine avaient lieu les descentes municipales...

Bé Puch et Stéphanie Gée

* prénoms fictifs





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Ensemble pour Sre Ambel