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Articles de presse

Santé : en vie mais ruiné

 

Santé

En vie oui mais ruiné

Un banal accident, une sinusite, l'hématome le plus anodin peuvent vite se transformer en descente aux enfers. L'accès aux soins, très relatif pour les plus pauvres, devient pour la classe moyenne un véritable parcours du combattant -qui se conclut souvent au Viêt-nam ou en Thaïlande - aussi ruineux qu'inutile. Incompétence, appât du gain, vétusté des équipements... les causes de l'incurie du système de santé sont innombrables. Et le choix qui s'offre aux patients très limité : entre des hôpitaux publics sous-équipés, des cliniques privées pas toujours très scrupuleuses et un exode sanitaire extrêmement coûteux, les malades issus de la classe moyenne se trouvent parfois précipités dans un cercle vicieux dont ils ressortent ruinés, à défaut d'être toujours correctement soignés. Deuxième et dernière partie de notre dossier sur la santé au Cambodge avec trois parcours de patients égarés dans les méandres du système de santé.
Tout a commencé par un banal accrochage. Khem Sovannara, photographe de presse de 33 ans, rentrait chez lui lorsqu'une moto a percuté sa 250cc. C'était au début de l'année dernière. Blessé à la jambe gauche, Sovannara se dit qu'il l'a échappé belle et remonte en selle en rendant grâce au destin de l'avoir épargné. Les mois passent. Sa blessure ne semble pas vouloir guérir. Au lieu de se résorber, l'hématome de sa cuisse ne cesse d'enfler et le fait de plus en plus souffrir.
En octobre, ce photographe indépendant se résout finalement à consulter dans un hôpital public de Phnom Penh. Le diagnostic est rapide : il souffre d'une hémorragie interne. "Le docteur n'a pas voulu prendre le risque de m'opérer car j'avais déjà perdu beaucoup de sang. Et puis de toute façon, l'hôpital ne disposait pas de scanner pour examiner ma jambe", se souvient-il. Le médecin décide alors de résorber l'hématome en le vidant de son sang au moyen d'une sonde. A raison de trois ou quatre séances quotidiennes, Sovannara se fait ainsi saigner pendant cinq jours. Chaque séance lui coûte 10 dollars, soit le prix d'une photo. "Au début, je trouvais que les tarifs étaient raisonnables. Mais comme mon état ne s'améliorait pas, j'ai commencé à me dire que c'était un peu cher", se souvient Sovannara qui estime néanmoins que le docteur avait fait "de son mieux" et était "honnête" puisqu'il l'avait même encouragé à consulter d'autres praticiens. Coût de cette première salve de soins : 100 dollars.
Malgré ces saignées à répétition, l'hématome ne se résorbe pas et la jambe de Sovannara perd toujours autant de sang. Suivant les conseils de ses proches, il se décide fin décembre à se rendre dans une clinique privée, plus onéreuse mais de meilleure réputation, où sa tante aurait été victorieusement opérée d'un cancer du sein. Le médecin analyse son sang afin de vérifier qu'aucune infection ne s'y est déclarée. Il affirme être en mesure d'opérer. "Mais il était un peu vantard, note Sovannara. Il feuilletait fiévreusement des livres de médecine, très savants et très épais, et semblait ne pas y trouver ce qu'il cherchait. Et puis il m'a dit que l'opération n'aurait pas lieu avant quelques jours, faute de chirurgiens disponibles. Je commençais à avoir peur d'être handicapé à vie."
Toujours plantée d'une sonde, sa cuisse n'en finit pas de perdre son sang. Au bout d'une semaine, le médecin lui soumet l'autorisation d'opérer. Sovannara signe, passe sur le billard et reste hospitalisé une dizaine de jours. Son état s'améliorant, il rentre chez lui pensant enfin s'être débarrassé de cette plaie qui le tourmente depuis près d'un an. "Mais au bout d'une semaine, ma jambe s'est remise à gonfler, comme avant. Je n'avais d'autre choix que de retourner à l'hôpital. Le médecin ne semblait pas comprendre pourquoi l'hémorragie n'avait pas cessé malgré l'opération. Ses explications manquaient quelque peu de clarté." Montant de la facture de cette opération infructueuse : 800 dollars.
Préférant ne pas s'appesantir sur ce premier échec, le médecin le convainc de tenter une seconde opération. Malgré son état d'extrême fatigue, Sovannara accepte. Il restera deux nouvelles semaines à l'hôpital et fait cette fois appel à ses tantes résidant outre-mer pour réunir les 900 dollars que coûte l'intervention. "Ceux qui n'ont pas d'argent n'ont plus qu'à mourir", note-t-il aujourd'hui avec lucidité. Bilan de ces deux opérations : Sovannara s'est allégé de quelque 1 700 dollars et sa jambe continue de pisser le sang. Sans se démonter, le médecin lui propose une troisième opération. Cette fois, Sovannara résiste à l'obstination de son praticien. "Je n'avais plus confiance", confie-t-il. Désavouée, la clinique lui demande de quitter les lieux.
Et c'est au Viêt-nam que l'interminable feuilleton médical de Sovannara trouvera son épilogue. Pendant la semaine qui précède son départ, il tente de maintenir son état de santé en se faisant faire des injections. Ruiné, il fait appel à des proches qui se cotisent et parviennent à rassembler les 400 dollars de ces énièmes soins palliatifs. En avril, il part finalement avec un de ses oncles se faire soigner à Hô Chi Minh-Ville. "J'avais vendu ma voiture, ma moto et les boucles d'oreille de ma femme. J'ai également emprunté auprès d'amis. En tout, j'ai réuni 4 200 dollars, se souvient-il. C'était énorme, mais l'argent ne comptait plus. Je voulais retrouver l'usage de ma jambe."
Son oncle explique au médecin viêtnamien de quoi il retourne. Ce dernier l'examine, passe sa jambe au scanner, le met sous traitement pendant un mois et pratique une hémoculture afin de dénicher d'éventuelles germes pathogènes. On lui arrache également la sonde dont il est affublé depuis plus d'un an et qui aurait pour principale vertu, selon les médecins de l'hôpital d'Hô Chi Minh-Ville, de favoriser les infections. "Les médecins ont été très honnêtes : ils m'ont dit que deux types de virus avaient infecté ma jambe pendant les précédentes opérations en raison d'une mauvaise hygiène." Après un mois de soins, Sovannara subit sa troisième intervention chirurgicale. La bonne cette fois. Une semaine plus tard, il fait ses premiers pas d'homme valide au Viêt-nam. L'hémorragie de sa jambe aura duré plus d'un an et lui aura coûté près de 8 000 dollars.
"J'avais fini par douter de pouvoir guérir un jour. Mais aujourd'hui, il faut avant tout que je pense à rembourser l'argent que j'ai emprunté. C'est la plus grande dépense de ma vie, je n'avais jamais été malade comme ça." Cette plongée au cœur du système de santé du pays aura permis à Sovannara de tirer des enseignements sur ce que les citoyens de la classe moyenne, et à plus forte raison les plus démunis, sont en droit d'attendre de la médecine de leur pays. "Les problèmes de santé appauvrissent considérablement les gens. Chaque malade est livré à lui-même, sans assistance, et doit se débrouiller pour trouver par lui-même le bon hôpital car on ne peut faire confiance à personne. Nombre de médecins sont loin de respecter le code de déontologie de la profession."
Pour édifiante qu'elle soit, l'histoire de Khem Sovannara est loin d'être un cas isolé. Pring Chamrœun, lui, s'en est tiré avec une note de plus de 2 000 dollars. Un accident de moto encore. Chamrœun a reçu un choc à la tête, et son oreille saigne. Aussitôt transporté dans une clinique privée de la capitale, il est mis sous perfusion et passe sous le scanner. "Je n'arrêtais pas de vomir et du sang coulait continuellement de mon oreille, raconte-t-il. Mais le médecin était bien en peine de m'expliquer ce qui m'arrivait. Il m'a demandé si je voulais rester ou partir au Viêt-nam. Si je décidais de rester, il ne pouvait me garantir que je survivrai." Chamrœun passe une nuit dans la clinique. C'est son frère acteur qui règle la note de 550 dollars. Dès le lendemain, une ambulance de l'hôpital l'accompagne au Viêt-nam. Les deux établissements, croit-il savoir, entretiennent des relations étroites. Après un nouveau scanner, le mal dont il souffre ne se révèle pas si grave que prévu. Après deux semaines de soins et 1 750 dollars de frais d'hospitalisation, il recouvre la santé. Son frère s'est lourdement endetté pour régler la note, et lui-même a dû se séparer de sa moto.
Aujourd'hui, Chamrœun regrette que le médecin qu'il a consulté à Phnom Penh n'aie pas été en mesure de le soigner, ce qui lui aurait permis d'économiser du temps, et de l'argent. "Certains médecins n'ont pas les compétences requises. Sans compter ceux qui ne s'occupent pas de vous si vous n'avez pas d'argent. Et encore, j'appartiens à la classe moyenne... La prochaine fois que j'ai un problème de santé, je partirai directement pour le Viêt-nam, peste-t-il : une semaine après mon accident, j'aurais normalement dû commencer à travailler dans une ONG. C'est raté."
Mais les sommes dépensées ne constituent en aucune manière une quelconque garantie quant à la qualité des soins prodigués. Ghov Srey Neang, issue d'une famille aisée, était victime de migraines à répétition depuis plusieurs mois. En un an, elle a dépensé, en vain, près de 10 000 dollars dans différentes cliniques de la capitale. Mais c'est encore au Viêt-nam, et pour la modique somme de 300 dollars, qu'elle a fini par trouver le traitement adéquat. En 1998, quand ses maux de tête se déclarent, Srey Neang fait la tournée des cliniques privées de Phnom Penh. Elle n'accorde, de son propre aveu, aucun crédit au système de santé public du pays. Après de multiples scanners et d'innombrables injections dans six cliniques de la capitale, les médecins avouent finalement leur impuissance à diagnostiquer son mal. "J'ai dépensé plus de 10 000 dollars. Pendant cette longue période, j'ai contribué à nourrir de nombreux médecins ainsi que leurs familles. Grâce à moi, certains ont pu s'acheter une nouvelle voiture!", s'emporte-t-elle.
Après une année de soins infructueux, ses voisins lui conseillent de partir au Viêt-nam. "Là-bas, les médecins s'occupent réellement de leurs patients, surtout s'ils sont cambodgiens car ils savent que nous venons de loin. Aussi font-ils leur possible pour que nous perdions un minimum de temps et d'argent", assure Srey Neang, visiblement enthousiasmée par les principes déontologiques en vigueur de l'autre côté de la frontière. Après un simple examen, les médecins lui annoncent qu'elle est atteinte de sinusite frontale. Sans doute, lui expliquent-ils, est-ce parce qu'elle se couche le soir après sa douche les cheveux encore humides. Elle devra suivre un simple traitement pendant quelque temps. Trois jours et 300 dollars plus tard, son "mystérieux" mal avait disparu. Duong Sokha

Les médecins du pays exercent-ils leur métier comme ils le devraient?
Il m'est difficile de répondre à cette question. Nous nous efforçons de faire connaître notre code de déontologie qui définit le rôle du médecin et fixe le prix des soins. Mais dans un pays où la loi n'est pas toujours respectée, certains praticiens trahissent leurs patients en surprescrivant ou en pratiquant des soins inadaptés. Quand un médecin se révèle incompétent, il doit transmettre le dossier à un autre praticien, car soigner une maladie que l'on diagnostique mal revient à l'alimenter.

La santé est-elle à votre avis un facteur d'appauvrissement de la population?
Les problèmes de santé font partie de la vie. Les gens qui aiment boire de l'alcool dépensent aussi beaucoup d'argent, particulièrement à la campagne. Mais il est vrai que le prix des soins est fixé sur les normes internationales alors que le niveau de vie du pays est très faible.

Certains patients préfèrent aujourd'hui se faire soigner à l'étranger. Qu'est-ce que cela vous inspire?
Je le constate également. Ceux qui en ont les moyens partent au Viêt-nam, en Thaïlande ou en Europe, convaincus que les médecins étrangers sont plus compétents que les nôtres. Ce n'est pas la bonne façon de voir les choses. Tout traitement se fait par étapes, et certaines étapes peuvent se faire ici. La compétence des médecins n'est pas en cause; ce dont nous manquons, c'est de moyens. Il faut réussir à convaincre les patients de se faire soigner ici car cela nous fait perdre beaucoup d'argent. Nos hôpitaux sont compétents et bénéficient du soutien financier et technique d'ONG et de la coopération internationale. Il faut davantage informer la population.

Comment faire pour que les patients reprennent confiance en leurs médecins?
Les médecins doivent être comme une mère pour ceux qui leur confient leur vie. Ceux qui ne respectent pas le code de déontologie doivent être condamnés. Le conseil de l'Ordre des médecins dispose d'un arsenal de sanctions qui peuvent aller jusqu'à la radiation.

Est-ce déjà arrivé?
Non. Quand nous entendons parler d'un problème, nous nous déplaçons pour prodiguer des conseils. Nous n'avons encore jamais banni un praticien de l'Ordre des médecins.

Ne faudrait-il pas, à votre avis, développer la prévention afin de limiter les dépenses de santé des ménages les plus pauvres?
Au lendemain de la guerre, nous nous sommes efforcés de sensibiliser la population à l'hygiène et à la prévention, notamment pour des maladies comme le sida. Mais l'environnement social peut ruiner tous ces efforts. L'alcool ou la drogue égarent les gens. Si nous ne luttons pas contre ces phénomènes, nos tentatives de sensibilisation resteront caduques. Les infrastructures et le niveau de vie sont essentiels : une personne bien portante qui ne possède pas de moustiquaire, par exemple, est un malade potentiel.
Recueilli par Duong Sokha




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Ensemble pour Sre Ambel