Le partenariat sériciculteurs - tisserands, socle de la renaissance
de l’industrie de la soie locale
Au rez-de-chaussée de sa maison sur pilotis, Mai Sambath,
une cinquantaine d’années, tisse une pièce de
soie fuchsia. A ses côtés, ses sœurs, arrimées
à leur métier, répètent elles aussi
inlassablement les mêmes gestes. A Koh Dach - l’île
de la Soie - renommée dans tout le pays pour sa production,
de chaque maison s’envole la ritournelle qui accompagne la
naissance de chaque centimètre de tissu.
Depuis la chute du régime des Khmers rouges qui l’avaient
chassée de sa terre, Mai Sambath a repris le travail dont
elle connaît tous les secrets depuis son plus jeune âge.
“C’est mieux que de travailler dans la rizière
ou que d’être employée dans une usine de confection”,
confie-t-elle. Elle et ses sœurs font partie de ceux qui peuvent
tirer aujourd’hui profit d’un ensemble de programmes
financés par la communauté internationale et destinés
à dynamiser la production locale de fil et de tissu de soie.
“Nous renouons avec une pratique qui a déjà
existé au Cambodge en mettant l’accent sur les techniques
modernes d’élevage des vers à soie et sur l’équipement
des tisserands avec des métiers plus performants. Parallèlement,
nous nous efforçons de développer une meilleure communication
entre ces deux groupes qui sont concentrés dans des régions
différentes du Cambodge”, explique Yannick Balerin,
qui, pour l’Agence française de développement
(AFD), supervise un programme de soutien au secteur de la soie.
Ce programme entend contribuer à la réduction de la
pauvreté en assurant des revenus réguliers aux sériciculteurs
et aux tisserands. “Nous voulons produire une soie 100% cambodgienne”,
précise Yannick Balerin. Un pari qui n’est pas gagné
d’avance car, relève l’expert, “les Cambodgiens
n’ont plus l’habitude d’utiliser du fil produit
ici. Ils doivent reprendre cette habitude”.
L’élevage de vers est peu lucratif. En moyenne, cette
activité rapporte quelque 200 dollars par an. Mais les sériciculteurs
performants peuvent doubler leurs gains. Quoi qu’il en soit,
il s’agit d’une source de revenus stable. En 1979, il
ne restait plus qu’un seul village où l’on élevait
des vers et qui produisait de la soie. Ce village, situé
dans le Nord-Ouest du pays, a servi de base à la renaissance
de cette activité, centrée aujourd’hui dans
cette région, note Sisowath Pheanuroth, directeur du programme
de soutien à la soie. Dans le cadre d’un projet pilote,
les vers, dont les cocons produits le délicat fil de soie,
sont aussi élevés dans la province de Ratanakiri.
Le programme de l’AFD a concerné l’an dernier
un peu plus de 1 800 tisserands tandis que 1 000 sériciculteurs
auront reçu une formation à la fin de cette année.
A l’origine, c’est un ver à soie hybride importé
de Thaïlande qui a été utilisé pour créer
le fil servant à tisser le kben, variété de
sampot en soie. “Mais le Cambodge ne disposait pas des moyens
nécessaires pour produire cet hybride, ce qui nous rendait
dépendant de la Thaïlande”, remarque Sisowath
Pheanuroth. Finalement, des recherches ont permis de trouver des
variétés de vers à soie capables de donner
un fil d’aussi bonne qualité que le fil thaïlandais,
permettant à la production cambodgienne de s’émanciper
du pays voisin. Pour renforcer cette autonomie, les sériciculteurs
du programme sont également formés à la culture
du mûrier, dont les feuilles constituent l’essentiel
de la nourriture des vers.
Kellie Karato, vice-présidente de Silk Forum, qui se charge
de faire la promotion de la soie locale à l’étranger,
s’enthousiasme de la qualité de la soie cambodgienne.
“Elle est plus brillante et plus solide”, que celle
produite ailleurs, assure-t-elle, déplorant que la production
ne parvienne pas encore à satisfaire la demande, ce qui oblige
les tisserands à importer du fil étranger. “En
utilisant de la soie thaïlandaise ou viêtnamienne, nous
produisons exactement la même chose que les autres”,
regrette-t-elle. Jusqu’à maintenant, c’est la
demande intérieure qui dynamise le marché de la soie
locale ou étrangère. Les touristes étrangers
s’intéressent aussi à cette production.
Aujourd’hui, Mai Sambath et ses consœurs importent le
fil qui leur sert à alimenter leur métier. Mais Sisowath
Pheanuroth ne désespère pas qu’un jour le fil
cambodgien règne dans tous les ateliers de l’île
de la Soie.
Caroline Huot (AFP)
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