Des classes organisées sous les arbres, avec des élèves de six à 17
ans, se
déplaçant au fil de la journée pour échapper au soleil; des
programmes
manuscrits, tant bien que mal exhumés des mémoires, ronéotés puis
recopiés à
nouveau à l'échelle des provinces; une poignée de cadres, anciens
instituteurs ou professeurs, campant, à deux par lit, à l'abri d'un
ministère dévasté, dans une capitale encore déserte et gardée par
les
troupes viêtnamiennes; des appels lancés par haut-parleurs "à qui
sait lire
et écrire" pour recruter des enseignants; une mappemonde ou un
dictionnaire,
retrouvés dans les décombres par des réfugiés faméliques et
conservés comme
des trésors. Dans les bureaux climatisés de Phnom Penh ou la plus
modeste
des écoles de campagne, les vétérans cambodgiens de l'éducation,
rentrés en
fonction en 1979, juste après la chute du régime de Pol Pot,
égrènent
aujourd'hui avec la même prolixité émue des souvenirs semblables de
deuil,
de solidarité et de dénuement. Ceux qui s'investirent alors dans la
reconstruction d'un système éducatif détruit de fond en comble
étaient des
diplômés de l'ancien régime, qui avaient trimé dans les rizières et
vu
mourir certains de leurs plus proches parents, enfants, épouse,
frères et
sours, survivant parfois aux "années noires" par "chance et par
ruse",
disent-ils, en abandonnant une paire de lunettes suspecte, ou parce
que le
cadre local "ne tuait pas forcément ceux qui savaient lire".
"Un enfant reste confronté à la question
de l'argent dès qu'il met le pied à l'école"
"Nous sommes le seul pays au monde où il y a eu une rupture complète
de l'
Etat, rappelle le secrétaire d'Etat à l'Education Im Sethy. Les
Khmers
rouges n'ont pas seulement aboli les villes, le marché, la monnaie
et l'
école. Ils ont aussi détruit l'institution et sa mémoire, les hommes,
les
documents." "C'était un principe simple, sourit Sung Heng Meng
Chheang,
aujourd'hui à la retraite et collaborateur de l'ONG éducative Sipar.
Ceux
qui savaient le plus enseignaient à ceux qui savaient le moins. Tout
le
monde était enthousiaste, avec le même but ; les parents, les
maîtres et
nous, au ministère." Comme Im Sethy, comme beaucoup de ses pairs, il
confesse cependant avoir ressenti un certain "malaise" devant le
rôle de
relais de la propagande immédiatement attribué à l'éducation sous
l'égide
des "coopérants" viêtnamiens. Mais à l'unisson, tous soulignent
aussi que le
Cambodge, sous embargo international et encore en guerre, n'avait
pas le
choix de sa politique et que le soutien de Hanoï fut vital. "Nous
étions
pragmatiques, assure Im Sethy. Si vous n'avez qu'un bouf pour votre
attelage, vous devez vous unir avec le voisin. Nous n'avions presque
rien et
nous devions tout partager. Quand ça a commencé à aller mieux, nous
avons
rétabli le marché."
Aujourd'hui, alors que le ministère se lance officiellement dans un
ambitieux plan stratégique, l'éducation pour tous jusqu'en 9e à
l'horizon
2015, les pionniers de la reconstruction, qu'ils soient restés aux
commandes
ou qu'ils aient choisi une porte de sortie dans la coopération
internationale, montrent à mots plus ou moins couverts, une même
incertitude, insistant à la fois sur les progrès réalisés et l'unité
perdue.
Nul n'est capable aujourd'hui de dresser un tableau précis de la
situation
malgré l'écheveau des statistiques et des plans stratégiques
successifs. Et
si l'éducation est l'un des rares secteurs où l'Etat est censé
coordonner,
depuis deux ans, l'action des donateurs, cette cohérence est restée
de
façade, en dépit de la surinflation des réunions et des rapports
qu'elle a
suscitée. La dispersion géographique de dizaines de programmes de
coopération inspirés par des théories et des intérêts différents,
ici un
projet-pilote expérimenté sur deux provinces, là une ONG soutenant
une école
dans le village de son implantation, accroît les disparités, voire
les
contradictions, alors que la qualité de l'enseignement de base reste
majoritairement très médiocre. Et qu'en dépit de la suppression des
frais de
scolarité en province, ces 200 à 500 riels autrefois versés de la
main à la
main tous les jours, "un enfant reste confronté à la question de
l'argent
dès qu'il met le pied à l'école", qu'il soit poussé à acheter les
petits
gâteaux de la maîtresse à la récréation ou à souscrire des cours
particuliers, résume un observateur présent de longue date et basé
en
province.
"A l'égalité dans la pénurie a succédé l'inégalité dans la richesse",
résume
Sung Heng Meng Chheang. Il se souvient d'avoir vécu douloureusement,
avec
ses pairs, le changement d'ère de 1993, quand au nom de la
réconciliation
nationale, le partage des places au sein des ministères s'est opéré
au
mépris de compétences durement forgées durant 14 années de
privations par la
vieille garde, stigmatisée alors comme "viêtnamienne" et "communiste".
L'
animosité entre adversaires politiques censés travailler de concert,
ajoute-t-il, a contribué à affaiblir les énergies. Et surtout, face
aux
tentations subitement déversées sur le pays, des apports directs de
l'aide
internationale aux juteux profits soudain à portée de main, à
commencer par
la location de maisons aux expatriés, l'affairisme et la corruption,
fléaux
de l'avant-guerre, ont recommencé à gangrener l'Etat de haut en bas,
y
compris l'éducation, même si ce fut dans de moindres proportions. "Dans
les
années 80, la corruption existait, mais pas comme aujourd'hui. Pas
au point
d'étouffer le pays".
"On s'est posé à la place des Cambodgiens
des questions qu'ils n'avaient pas eu
le temps d'envisager, on a voulu apporter
les réponses à leur place."
D'anciennes enseignantes, travaillant désormais à un programme d'
amélioration de la pédagogie, regrettent la disparition de la
solidarité et
de l'engagement qui prévalaient autrefois, assurent-elles, dans leur
corps
professionnel et dans ses relations avec le reste de la société.
"Maintenant, très peu de professeurs acceptent de faire des efforts
s'il n'y
a pas d'argent à la clé. On peut les comprendre, mais c'était
différent
auparavant." Symbole à leurs yeux de cette dégradation relative, la
population des zones frontalières de la Thaïlande, notamment dans
les
provinces de Koh Kong et Battambang, répond selon elles en nombre
croissant
aux sirènes du pays voisin, qui offre, outre une place dans ses
écoles, le
ramassage par minibus et même un repas quotidien aux petits
Cambodgiens.
"Les gens préfèrent renoncer à ce que leurs enfants apprennent le
khmer au
profit d'une éducation correcte, regrette l'une d'elles. A Koh Kong,
on ne
trouve pas d'enseignants diplômés qui acceptent de travailler en
campagne.
On recrute des vacataires qui n'ont même pas le brevet, et cela ne
suffit
pas à assurer les classes."
Pour Sung Heng Meng Chheang aussi, les quelque 90 000 enseignants du
pays,
issus des recrutements massifs de ces dernières années, ont perdu
leur
prestige aux yeux de la population, victimes de "leur pauvreté, de
leur
corruption et de leur faibles connaissances. Une minorité donne
toujours le
meilleur d'elle-même". Ce prestige, il est vrai, reposait en partie
sur le
rôle de notable conféré par la hiérarchie rigide du Parti communiste,
et des
avantages en nature (riz, huile, sucre, savon) leur permettant de
vivre un
peu mieux que le reste de leurs concitoyens, quand les écoliers
n'étaient
pas réquisitionnés pour la culture de leur lopin de rizière.
Aujourd'hui, si
l'on reproche plus facilement à l'instituteur de quitter sa classe
après la
première récréation pour s'occuper de ses cochons ou aider au
commerce de
son épouse, c'est aussi que cette autorité de nature plus politique
s'est
érodée.
Et cette érosion a atteint le cour même de l'Etat. Incapable
désormais de
garantir la survie de ses fonctionnaires, il a été par ailleurs
profondément
déstabilisé, reconnaissent sotto voce ceux qui sont arrivés alors,
par l'
irruption massive d'un flot de dollars et de consultants brandissant
des
mots inconnus. Avec le temps, les cadres ont appris à maîtriser avec
le même
"pragmatisme" qu'autrefois cette nouvelle langue de bois venue de
l'Ouest,
mêlant dogmes du libéralisme et valeurs de partage. Et les
politiques de l'
éducation déclinent ainsi pêle-mêle les figures obligées du "gender"
(égalité des chances pour les deux sexes), de la "bonne gouvernance"
et de
"la réduction" de la pauvreté, comme la pédagogie centrée sur
l'enfant et la
maximisation du rapport "coût/efficacité" par élève. Mais, estime le
Français Rolland Raynaud, qui travaille depuis plus de dix ans dans
ce
secteur, le décalage entre ces mots d'ordre et ceux qui sont censés
les
appliquer a contribué à désorganiser un système qui, à son arrivée
en 1991,
fonctionnait avec une cohésion relative. "On s'est posé à la place
des
Cambodgiens des questions qu'ils n'avaient pas eu le temps
d'envisager et on
a voulu apporter les réponses à leur place. On en est toujours là."
En
parallèle, les organisations internationales sont devenues des
pourvoyeuses
de fonds plus sûres et autrement plus généreuses que le ministère,
la
plupart des programmes s'ingéniant à pallier la misère des salaires
officiels en dégageant des lignes de crédit plus ou moins déguisées
pour les
fonctionnaires amenés à y participer, sous forme de per diem ou de
salaires
complémentaires. En conséquence, constate un expert étranger, "c'est
envers
elles, et non envers l'Etat, que les personnels font preuve de
loyauté".
A contrario, l'extension à tout le royaume, décidée en 2001, du
Programme d'
action prioritaire (PAP), destiné directement aux établissements (6
000
riels par an et par élève dans le primaire, 13 000 dans le
secondaire, en
deux versements), géré par l'Etat et financé par des prêts de la
Banque
mondiale et de la Banque asiatique de développement, illustre les
bizarreries du système. Eqip (Projet d'amélioration de la qualité de
l'
éducation) travaillait dans la province de Takéo à un programme
similaire de
décentralisation des fonds, également financé par la Banque mondiale,
en
formant progressivement les personnels scolaires à l'administration
d'un
budget. La distribution soudaine des crédits, dans des écoles
habituées à la
pénurie absolue, en contradiction avec les principes défendus
par Eqip, a
vu fleurir les dépenses incongrues, comme un mobilier neuf pour le
directeur, ou des parterres de fleurs devant son perron. Au point,
dit-on,
que des enseignants plaisantins ont surnommé l'opération "Programme
pour la
réduction de la pauvreté. des directeurs d'école". En réaction, on a
institué des contrôles tâtillons, exigeant, pour le moindre achat de
cahiers
ou de ballons, une étude comparative circonstanciée chez trois
fournisseurs
locaux, fût-ce l'épicerie du coin, rapports à l'appui. Alors qu'en
parallèle, l'accumulation des retards, d'une année sur l'autre, et
le
caractère totalement imprévisible des déboursements, est de nature à
décourager à tous les échelons les efforts de gestion prévisionnelle.
Au
total, 20% du PAP de 2002 n'ont pas encore été versés par les
trésoreries
nationale et provinciales, mais la moitié environ de celui de 2003,
soit 50
milliards de riels (12,5 millions de dollars) devaient être alloués
d'un
coup au cours des trois derniers mois. Même si, comme le souligne le
ministère des Finances, les écoles ont reçu cette année 38% de
crédits PAP
de plus qu'en 2002, l'irrégularité de la distribution a encore accru
le
fatalisme général.
"Nous étions coupés du monde,
comme plongés dans un puits"
Ceux des responsables de l'éducation qui "donnent le meilleur
d'eux-mêmes"
se plaignent seulement de leurs difficultés à faire appliquer les
directives, à commencer par le redéploiement des enseignants, en
partie à
cause du caractère imprévisible et parcimonieux des finances. Mais
Im Sethy
préfère insister sur la confiance témoignée au ministère, année
après année,
par les donateurs, preuve à ses yeux du bien-fondé de la politique
entreprise. Il rappelle que sous leur égide, le budget de
l'Education, passé
de 9% du budget de l'Etat en 1997 à 18,5% aujourd'hui, a été à 70%
réorienté
vers le primaire; il énumère les milliers d'écoles construites, les
centaines de milliers de petites filles qui ont pris le chemin de
l'école,
les manuels neufs aux curricula revus mis gratuitement à la
disposition des
87% d'enfants désormais scolarisés. De l'avis général, l'accès aux
petites
classes s'est indiscutablement démocratisé depuis dix ans, bien que
la
proportion des crédits alloués à l'éducation reste inférieure à la
moyenne
de l'ensemble des "Pays les moins développés" et que dans les
communes les
plus pauvres, le ratio soit toujours de 79 élèves par classe contre
46 dans
les plus riches.
Mais Vin Mac Namara, d'Eqip, souligne aussi que l'enseignement
supérieur a
connu une évolution inverse. Les étudiants sont désormais issus à
50% de
Phnom Penh et à 40% des provinces limitrophes, alors que le système
garantissait, au début des années 90, une répartition géographique
plus
équitable. Surtout, l'immense majorité des diplômés reste ensuite
dans la
capitale, 90% de ceux qui sortent de l'Ecole nationale d'agriculture,
accentuant encore la concentration de l'argent, des emplois et des
services,
et un déséquilibre potentiellement explosif. Quant à hisser en un
peu plus
de dix ans l'ensemble de la jeunesse cambodgienne au niveau du
brevet des
collèges, objectif généreux du nouveau plan en cours, certains des
experts
qui ont participé à son élaboration jugent la chose franchement
irréalisable, au regard des résultats de la décennie passée.
De même que ces derniers préfèrent l'affirmer à l'abri de l'anonymat,
et se
gardent de mettre publiquement en cause un gouvernement dont le bon
vouloir
conditionne leur présence ici, les cadres de l'éducation ne
sauraient
critiquer le système de l'aide, dont l'Etat dépend dramatiquement
pour
fonctionner. Et Im Sethy, s'il cite facétieusement la devise de Hô
Chi Minh
qu'il se répétait in petto face aux conseillers viêtnamiens ("Rien
n'est
plus précieux que l'indépendance et la liberté"), consent tout juste
à
souligner, en forme de comparaison critique, que si les pays
socialistes
attribuaient dans les années 80 quelque 500 bourses par an aux
étudiants
cambodgiens, ce nombre est aujourd'hui tombé à une centaine dans les
pays
donateurs.
"Mais nous étions coupés du monde, comme plongés dans un puits
pendant près
de 15 ans, résume Sung Heng Meng Chheang. Aujourd'hui, la machine
fonctionne
au ralenti, par soubresauts. Globalement et individuellement, il me
semble
pourtant que nous y avons davantage gagné que perdu." Il ne parle
pas tant
des améliorations matérielles que "des idées et des rencontres". Et
le
responsable de l'éducation à Takéo, Hak Sing Ly, qui dit en souriant
avoir
conservé certains des principes du "matérialisme dialectique"
autrefois
inculqués par les conseillers viêtnamiens, et confesse en même
temps, avec
une naïve confiance, qu'il souhaiterait voir "beaucoup d'écoles
privées" s'
installer dans la ville, car "la compétition améliore la qualité",
souligne
que dans sa province, près d'un tiers des habitants, soit 250 000
jeunes sur
une population de 900 000 personnes, est à l'école. "C'est un défi
énorme,
pour un pays pauvre comme le nôtre, avec une pyramide des âges telle
que la
nôtre. Avant, c'est vrai, tout semblait plus simple. Mais c'est
aussi que
nous n'avions que le minimum à proposer."
Irène Berelowitch
"En 20 ans, nous sommes passés du niveau 1 au niveau 4"
C'est une petite école de village flambant neuve, faite de quatre
salles de
classes, d'un perron, d'un carré de terre nue planté du drapeau
national.
Tout autour, le paysage familier des campagnes et les huttes de
familles
majoritairement venues de Prey Veng, dressées entre la piste et les
carrés
de rizière gagnés sur une forêt en recul. Chrova Koh Dach, n'est
qu'à une
quinzaine de kilomètres de Kratié, mais avant la route "donnée"
récemment
par Hun Sen, la zone, difficilement accessible et rongée de malaria,
était
synonyme de relégation pour les enseignants de la petite ville,
assoupie
dans une boucle du Mékong. "Nous sommes le bout du monde pour les
Phnompenhois, et ici, c'était notre bout du monde à nous", plaisante
Mao
Thong, le responsable provincial de l'éducation, qui a planté
lui-même la
bordure de fleurs au pied du bâtiment avant l'inauguration, le 19
novembre.
Ici, quatre enseignants se partagent 183 élèves, du niveau 1 au
niveau 4,
certains faisant la classe à deux groupes simultanément, même si les
effectifs sont clairsemés en cette période de moisson. "Voilà
l'histoire de
notre éducation, plaisante avec quelque amertume Hok Chaon, l'un des
instituteurs. En 20 ans, nous sommes passés du niveau 1 au niveau
4." Pour l
'heure, les chances de ces petits paysans de pouvoir rejoindre l'un
des 25
collèges ou des trois lycées de la province - dont tout récemment
celui de
Chhlong, impressionnante bâtisse financée par le ministre de
l'Economie Keat
Chhon - sont pratiquement nulles, reconnaît-il. Cette année, 240
élèves
seulement sur 887 ont obtenu leur baccalauréat à Kratié.
En dépit de son dénuement, l'école de Chrova Koh Dach est l'une des
rares de
la province à faire la classe à plein temps, car outre le bâtiment
et les
uniformes des enfants, les salaires complémentaires des instituteurs
sont
financés par l'ONG chrétienne suisse Hagar. Tandis qu'à l'échelle
provinciale, soupire Mao Thong, l'argent des heures supplémentaires,
censé
permettre de prolonger le temps scolaire, n'est pas arrivé depuis.
deux ans.
Dans le district de Snoul, certaines classes de primaire ont des
effectifs d
'une centaine d'élèves. Et dans le secondaire, sept seulement des 12
postes
réclamés cette année en urgence ont été pourvus. Dans la province,
"trop
éloignée pour attirer les grosses organisations internationales", le
manque
d'enseignants, estime Mao Thong, est le "plus grave problème". "Certains
viennent deux mois, et puis repartent."
A l'inverse, de jeunes célibataires plein d'idéal se logent à la
pagode et
se nourrissent de l'aide des paysans. Et un couple de jeunes
diplômés de l'
école normale de Kratié vient de construire sa maison à proximité de
Chrova
Koh Dach, pour rester auprès des petits élèves "défavorisés". Quant
au
directeur provincial, loyal et surmené, il préfère égrener en
chiffres les
progrès réalisés, bâtiments sortis de terre, fonctionnaires "fantômes"
rayés
des listes ou allongement progressif des cycles de formation, et
montrer la
photo du médaillé d'or provincial de physique, qui a fait sa joie il
y a
trois ans. Il laisse plus volontiers parler sa fierté du temps où
non loin
de Kratié, dans le village où il fut déporté, il assurait trois
classes
quotidiennes, se levant avant le jour pour pêcher dans le fleuve et
dirigeant la reconstruction de l'école. Mais il semble aussi heureux,
malgré
ses 183 000 riels de traitement et sa retraite proche, plus maigre
encore,
de recevoir dans des bureaux repeints, dotés d'ordinateurs neufs et
d'un 4x4
de fonction, garants de sa reconnaissance sociale et de son autorité.
Ses
parents, sa femme et tous ses frères et sours ont péri sous les
Khmers
rouges. Il a perdu son fils unique il y a quelques années. Alors peu
importe, explique Mao Thong, s'il travaille parfois le dimanche et
n'a pas
le temps de "faire du commerce" puisque Kratié l'a adopté.
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