Cesser de pratiquer l'aumône et apprendre à vivre dignement, par
ses propres
moyens, avec sa jambe ou son bras coupé, ou avec la vue à jamais
perdue, c'
est le combat que mènent les invalides qui s'entassent depuis l'an
2000 dans
le village de Veal Thom de la commune de Kreng Trayoung, dans la
province de
Kompong Speu. Ils viennent de toutes les provinces, Takéo, Kompong
Cham ou
encore Prey Veng, grossir la population de cette communauté peu
ordinaire. A
quelque 6 kilomètres de la nationale 4 menant à Kompong Som, 270
familles,
dont chacune occupe une parcelle de 50 mètres sur 300, vivent
entre la
misère et l'espoir de voir leurs rizicultures prospérer.
Ici, on fait avec les moyens du bord, tentant de reconstituer un
semblant de
"vrai" village. L'école, érigée voilà deux ans, ne comprend qu'une
classe et
un toit de zinc, mais pas de murs. Veal Thom possède bien aussi sa
pagode,
mais sans temple. C'est sous le frêle toit d'un hangar fait de
joncs que
Bouddha s'invite. Sdoung Channy, 47 ans et amputée de la jambe
gauche sous
le régime de Pol Pot, s'est installée là l'an dernier. "Je suis
venue de
Kompong Cham dès que j'ai appris que l'on distribuait ici de la
terre. Je
vis seule, mais quand je suis arrivée, mes voisins, invalides,
m'ont aidée à
construire ma cabane." Si l'eau, la nourriture, les soins ainsi
que les
instruments agricoles manquent cruellement dans le village, la
solidarité
entre les habitants apporte un peu de réconfort.
"Quand les récoltes sont trop mauvaises, et les stocks de riz
épuisés, nous
sommes réduits à nous nourrir de kduoch [manioc sauvage]", se
plaint une
victime des mines. Les projets de développement d'une organisation
française, Assar (Association pour le soutien à l'action rurale),
leur
redonne un peu d'espoir : la construction de dix puits, la mise en
place d'
un poste de santé, etc. A l'occasion hier de la Journée
internationale des
handicapés, Assar leur a distribué des dons en nourriture mais
aussi en
moustiquaires, vêtements, médicaments et instruments agricoles. "Je
suis
impressionné par leur courage. Ils ont arrêté de faire la manche
dans les
rues pour se prendre seuls en main malgré leur invalidité, et nous
voulons
les encourager afin de les aider à faire de leur communauté un
village
modèle", affirme Lim Boun Leng, président d'Assar.
La bonne volonté ne suffit cependant pas toujours, et les
habitants de Veal
Thom subissent déjà des menaces d'expropriation de la part des
militaires de
la province. Peut-être, là encore, seront-ils soutenus. Au
ministère des
Affaires féminines et des anciens combattants, on promet de les
aider, sur
le plan légal, à défendre leurs droits.
Kong Sothanarith
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