Cette histoire commence avec le désespoir dun homme
qui ne sait plus à quelle porte frapper. Ce villageois de
la province de Sihanoukville a eu la jambe broyée dans un
accident de la circulation et se retrouve pendant deux ans cloué
chez lui, incapable de se mouvoir et dexercer un quelconque
métier, faute de pouvoir réunir les fonds nécessaires
pour être opéré et appareillé. Sans même
avoir les moyens de soffrir une paire de béquilles,
il ne parvient plus à nourrir sa famille et, comble de malchance,
le toit de la maison sest écroulé. Sa femme
sengage alors dans une croisade à la recherche daide
avant de sombrer dans la grande pauvreté. Mais partout où
elle se rend, agences gouvernementales ou ONG, elle reçoit
la même réponse : Vous ne remplissez pas les
conditions des personnes à qui nous portons assistance.
Jusquà ce quelle croise le chemin dexpatriés
qui prêtent attention à son cas. Les premiers vingt
dollars de la collecte qui allait être entreprise par leurs
soins furent obtenus dans un bar de la ville portuaire. En quatre
jours, les deux cents dollars nécessaires à lopération
de ce père de famille étaient réunis, à
coups de petites sommes recueillies ici et là, au bon cur
de commerçants et autres habitants. Depuis, il remarche grâce
à une prothèse et il sen est retourné
à son activité davant, la pêche. L
opération chirurgicale sest révélée
moins coûteuse que prévue et avec l argent restant
nous lui avons acheté un nouveau bateau ainsi que les matériaux
nécessaires à la réfection du toit de sa maison,
raconte Deirdre OShea. Mais lhistoire ne sarrête
pas là. Ainsi, allait naître le projet Starfish.
Cette aventure a déclenché une chaîne de solidarité
et dentraide alimentée bénévolement par
ces quatre Occidentaux, en marge de leur travail. Ils ont baptisé
leur projet Etoile de mer, en référence
à une parabole, celle dun bonze qui se promène,
accompagné dun disciple, sur la plage, le lendemain
d un orage dévastateur. Des milliers détoiles
de mer ont échoué sur le banc de sable, hors de leur
milieu naturel. Le religieux prend délicatement lune
dentre elles et la remet à leau. Pourquoi
vous souciez-vous dagir ainsi quand cela fait si peu de différence
au vu du grand nombre dentre elles qui vont mourir?,
questionne l'élève. Continuant leur marche, le bonze
soulève une autre étoile de mer et répond avec
sollicitude : cela fait une différence pour cette créature-là,
et la retourne à la mer. Lidée est simple
: fournir une aide de personne à personne à des Cambodgiens
qui échappent aux réseaux dassistance en place.
Et comme nous sommes tous volontaires et bénévoles,
sans coûts de fonctionnement administratif, les dons récoltés
reviennent à 100% aux personnes secourues. Toutes les actions
que nous menons doivent avoir un début, un milieu et une
fin en vue. Cest de la micro-aide, avec une grande flexibilité
qui permet un impact immédiat , explique Deirdre OShea.
Depuis un an et demi que ce réseau dentraide a vu
le jour, pas moins de vingt mille dollars ont été
rassemblés et distribués dans le cadre de centaines
de Projets, depuis lachat de lait à une mère
qui en manque pour son nouveau-né jusquà la
construction dune maison communale à lattention
des personnes âgées abandonnées et dhandicapés
de Kompong Som. Et chaque jour, de nouvelles mains se lèvent
pour demander un petit coup de pouce qui leur éviterait,
faute parfois de seulement vingt ou cinquante dollars, d avoir
la tête sous leau. Nous prenons les demandes comme
elles viennent, quelles émanent de villageois rencontrés
au cours de tournées régulièrement menées
sur les Projets existants, dONG qui nous réfèrent
des cas quils ne peuvent pas prendre en charge ou des personnes
en difficulté elles-mêmes, de leurs proches, qui nous
rendent visite, détaille Deirdre, qui a ouvert en octobre
dernier une boulangerie-café, le Starfish café, un
prolongement du projet. Trois personnes handicapées travaillent
à ses côtés, et les bénéfices
engrangés, de même que le produit de la vente de livres
doccasion et de T-shirts, tombent dans lescarcelle de
Starfish pour répondre à de nouveaux appels à
laide.
La résolution des problèmes qui leur sont soumis
prend parfois à peine une heure, juste le temps de trouver
la petite poignée de dollars qui permettra ainsi à
une femme de payer le transport pour se rendre à un hôpital
éloigné qui prodigue des soins gratuits. Il faut aussi
parfois des semaines, pendant lesquelles léquipe de
Starfish se met en quête dune terre à acheter
pour une famille expulsée du terrain sur lequel elle sétait
établie. Les soucis des habitants ne manquent pas et Starfish
apporte sa petite pierre à l édifice. Au fur
et à mesure.
La solidarité ne se fait pas seulement au moyen de
billets de banque mais aussi par la mise à disposition de
ses compétences, de son temps. Et ceux que nous aidons doivent
aussi contribuer à leur propre projet ou à leur tour
rendre service. On ne veut pas que la passivité prenne le
pas sur les élans de générosité,
commente lAméricaine qui, philosophe de formation,
réfléchit sans cesse à la meilleure façon
dintégrer ceux qui sont à la limite de lexclusion
sociale. A la question de savoir pourquoi on ne pérennise
pas le projet, en linscrivant dans un cadre plus large, elle
répond que le choix du court terme a été préféré
pour, dit-elle, le jour où nous nous en allons, ne
pas avoir à fermer un programme et ne pas laisser des gens
derrière nous, dans le besoin car toujours dépendants.
La volonté affichée est de maintenir une structure
simple, sans aucune lourdeur, sans aucune prétention. Et
Deirdre de décliner avec sérénité sa
fonction au sein de Starfish - et ce, seulement si on le lui réclame
- par un lapidaire c est moi la boulangère!,
vite transformé en un large sourire. Stéphanie Gée
Stéphanie Gée
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